Article "copier coller de TV5MONDE:
Du
30 mai au 1er juin, des journalistes du monde entier ont tenté
d'imaginer le futur de leur métier aujourd'hui en pleine mutation. Ils
étaient réunis à Paris pour le News World Summit organisé par le Global Editors Network. Notre reporter y était.
Au News World Summit 2012 à l'hôtel de ville de Paris.
06.06.2012Par Laure Constantinesco
Plus
on a d'outils numériques - smartphones, tablettes, ebook - et plus on
passe du temps à lire - des livres mais aussi des magazines et des
journaux. C'est l'une des données d'une enquête de l'institut McKinsey réalisée
entre 2008 et 2011 sur 180 000 personnes dans le monde. De quoi mettre à
mal la croyance encore tenace qu'Internet a signé la mort du
journalisme.
La mort de l'article traditionnel...
Le web a plutôt signé la mort de l'article et du reportage
dits "traditionnels". Ce qui n'est "peut-être pas une mauvaise chose"
pour Peter Bayle de CNN International. "Tant que l'on aura des journalistes de qualité, il n'y aura pas de problème".
Jim Roberts du New York Times estime
que les journalistes vivent "l'âge d'or de l'article ! Les instruments
dont on dispose aujourd'hui pour raconter une histoire sont flexibles et
sans limites".
Même constat pour Edwy Plenel, cofondateur de Mediapart,
pour qui le numérique a "donné une nouvelle jeunesse au journalisme car
on peut y défendre le meilleur de la tradition, avec des moyens
inexistants à l'époque du papier".
... Et la naissance de nouveaux formats
Le web serait donc pour le journalisme l'occasion se
réinventer. Ces deux dernières années, des formats jusqu'alors inédits
sont pour certains en passe de devenir des classiques.
Premier d'entre eux, le live-blog ou live-blogging, cet article multimédia en temps réel. A l'Agence France Presse,
on y avait déjà pensé en novembre 2008, lors de l'élection
présidentielle américaine, car "beaucoup de reporters ramenaient des
contenus multimédias qui restaient inutilisés à la fin de la journée"
déclare Juliette Hollier-Larousse, rédactrice en chef à l'AFP.
"Le live a explosé au cours des 12 derniers mois, après un départ timide en 2009" explique Kate Fairhust de Scribblelive, entreprise qui propose un outil de live-blog aux médias. Et c'est vrai que les internautes se sont retrouvés scotchés au live en
2011, actualité internationale trépidante oblige. Sur le site de
TV5Monde, nous utilisons aussi régulièrement ce format depuis plus d'un
an, comme ici.
Puisque l'audience est au rendez-vous, se pose maintenant la
question de la monétisation. Une réponse est peut-être apportée par GEN Live desk,
l'outil de live créé par le Global Editors Network en partenariat avec
Google, sur les conseils de journalistes de la BBC, du Guardian, du
Monde, de Voralberger Nachrichten et Zeit Online. L'outil est gratuit et
open source [c'est-à-dire que le code source est accessible à tous les
développeurs pour amélioration et customisation] et permet d'insérer de
la publicité. Cet outil devrait être disponible en septembre pour toutes
les rédactions.
Antoine Laurent, secrétaire général du Global Network Editors, nous en dit plus :
Autre tendance, le journalisme ouvert ou "open journalism". Benoît Raphaël, créateur du Post [remplacé aujourd'hui par le Huffington Post], du Plus et du Lab,
en est un fervent défenseur. Pour lui, le rôle des médias aujourd'hui
n'est plus juste de transmettre de l'information au public mais
également de lui donner la parole, et de l'aider à être entendu.
Paul Lewis, rédacteur en chef au Guardian,
média pionnier dans le numérique, estime que le journalisme ouvert,
c'est avant tout reconnaître "qu'on ne sait pas tout !" L'information ne
circule plus à sens unique entre journalistes et lecteurs.
Pour Sharon Moshavi, vice-présidente de l'International Center for Journalists,
il s'agit plus d'un acte citoyen. Cette association créé des médias
citoyens dans des zones "où les journalistes ne vont pas". Par exemple,
en Inde, des populations rurales ont maintenant accès à l'information :
des habitants utilisent des mobiles pour produire de l'information qui
est ensuite diffusée sur une radio.
On parle aussi beaucoup du journalisme de données,
datajournalisme ou encore visualisation de données. Le principe est de
rendre des données brutes - souvent des chiffres - compréhensibles par
tous.
Pour Chiqui Esteban de lainformacion,
"un graphique fonctionne mieux qu'un texte". Alastair Dant du Guardian a
présenté les meilleurs contenus développés par son service, comme ce graphique interactif des dépenses publiques britanniques,
où l'internaute peut lui-même effectuer des coupes budgétaires pour
redresser les finances de son pays ! Le Guardian travaille aujourd'hui
sur le projet miso (financé
par la fondation Gates), un outil open source pour que tout le monde
puisse explorer les données ouvertes [open data] sur les dépenses
publiques.
Au News World Summit, un jury a décerné pour la première
fois les Data Journalism Awards aux meilleures initiatives. 57 projets
de médias du monde entier étaient en compétition, 6 d'entre eux ont été récompensés.
Autre format, le "fact-checking" ou
vérification de données. Ou comment le journalisme revient à ses
fondamentaux, c'est-à-dire la vérification des faits avant leur
transmission... Une pratique née dans les médias américains, qui a gagné ses lettres de noblesse en France lors de la présidentielle. Sylvain Lapoix était là pour défendre le Véritomètre,
un outil de vérification de la parole politique pendant la campagne. Le
journaliste d'OWNI a tenu à rendre hommage aux internautes, surtout à
ceux qui re-vérifient les chiffres et les données derrière les
journalistes : "Il faut faire de son audience une alliée" a-t-il
conseillé.
Nouveau mot à la mode, la curation.
Il s'agit pour le journaliste non plus de produire mais de sélectionner
les contenus existants les plus pertinents sur un thème. Pour Jim
Roberts du New York Times, c'est une spécialité d'avenir : "On a le
sentiment que le curateur de contenus est un journaliste de seconde
classe. Mais c'est faux : les meilleurs curateurs mettent en valeur des
voix qui ne pourraient s'exprimer sans eux."
Enfin, l'information se doit aujourd'hui d'être présente sur les plate-formes mobiles. 8 Américains sur 10 consomment des informations depuis leur mobile selon l'étude annuelle sur l'état des médias américains du Pew Project for Excellence in Journalism.
Conséquence : l'émergence de nouveaux usages, comme la
lecture en différé. 11 millions de contenus sont sauvegardés dans ce but
chaque jour via l'application Pocket (ex
Read It later). Il faut aussi capter l'attention du consommateur, en
développant une stratégie mobile explique Eric Hazan de l'institut
McKinsey : "Il s'agit d'être proactif : des abonnements, un contenu
court, une audience ciblée permettent de sortir du lot".
Le mobile est également un véritable couteau suisse pour le
reporter, "l'outil le plus utilisé par les journalistes sur le terrain" a
rappelé Paul Lewis du Guardian.
La stratégie du multi-écrans
Etre présent sur les quatre écrans - mobiles, tablettes,
ordinateurs et télévision connectée - est désormais au coeur des
préoccupations ds rédactions. Mais difficile de se projeter car "il y a 5
ans il n'existait ni applications ni aucun des terminaux dont nous
profitions aujourd'hui" s'est souvenu Phil Fearnley de la BBC.
A défaut de lire dans l'avenir, la BBC a
su inventer le présent : le média britannique propose pour les Jeux
Olympiques de cet été à Londres un dispositif inédit et totalement "cross-media"
: "On va permettre à tout le monde de voir n'importe quoi n'importe
quand n'importe où" s'est enthousiasmé Phil Fearnley. Sur le site,
l'internaute a accès à toutes les compétitions en direct et en vidéo
grâce à 24 flux de streaming en haut définition. Il peut naviguer très
facilement entre les différents sports, et si quelque chose se passe
ailleurs pendant qu'il suit une épreuve, il en est aussitôt averti et
peut basculer.
La télévision connectée,
elle, n'en est qu'à ses prémices. C'est en France que le potentiel
serait le plus grand actuellement selon les chiffres de Martha Stone de
l'institut d'étude World Newsmedia Network. Bruno Patino, directeur de
la stratégie numérique à France Télévisions, a rappelé l'évolution du
comportement des téléspectateurs, qui veulent désormais discuter d'un
programme via les réseaux sociaux lors de la diffusion : "La social TV
est un phénomène en plein essor".
La rédaction de Propublica célèbre son Prix Pulitzer.
Demain, retour vers le futur
Au début du journalisme, l'investigation était
reine. Le journaliste-enquêteur livrait au public des scoops. Une
spécialité devenue ensuite le parent pauvre des rédactions - une enquête
ça dure longtemps et donc ça coûte cher - qui pourrait renaître grâce
au web.
"Les groupes de médias ne veulent plus prendre le risque de
faire du journalisme d'enquête, à part les plus grands" a analysé Paul
Steiger de Propublica "mais
ça ne veut pas dire qu'il a disparu. Seulement maintenant, si les gens
veulent lire des enquêtes, il leur faudra mettre la main à la poche."
C'est le modèle économique de Propublica, un organisme à but non
lucratif où le public finance le travail des journalistes. Les articles
sont ensuite diffusés gratuitement dans des médias partenaires. Cette
"newsroom" d'un genre nouveau a remporté un Prix Pulitzer en avril 2011,
le premier attribué à un site internet.
Même son de cloche à Mediapart, le "pure player" français
spécialisé en journalisme d'enquête. Son co-fondateur Edwy Plenel estime
que le journalisme doit aujourd'hui se concentrer sur la plus-value : "
Il faut se demander ce qui va faire la différence. Ce sont des infos
inédites, qui surprennent le public, l'obligent à bouger, à changer."
Pour Plenel aussi, c'est le lecteur qui doit financer ces
investigations.
Plus étonnant, le retour du papier a
été annoncé par Jim Chisolm. Ce consultant pour des groupes de médias
plaide pour cette stratégie à contre-courant, arguant que le web ne
parvient toujours pas à monétiser son audience. Et qu'avec 3,2 milliards
de lecteurs d’hebdomadaires et quotidiens, contre "seulement" 2
milliards d’internautes, le papier reste dominant. Chisolm va encore
plus loin et martèle : "50% du déclin du print est dû à une mauvaise
gestion. Il faut réunir les PDG et les fusiller !"
Journaliste, un métier en mutation
Finalement, le plus difficile sera peut-être de faire
évoluer le métier de journaliste. Dans les rédactions, la fracture
générationnelle se fait sentir. Comment la réduire ? Chacun ses
méthodes.
Au Washington Post,
on organise des sessions de travail entre vieux de la vieille et
nouvelles recrues, pour que chacun apporte à l'autre son expérience.
Dans d'autres rédactions, on est plus direct, comme chez le suisse Tages Woche,
où tous les journalistes sont obligés d'être sur Twitter. Ou au
Guardian, où les rédactions print et web ont fusionné et où les 600
journalistes travaillent aujourd'hui sur les deux supports. Mais,
affirme la rédactrice en chef Clare Margetson, "c'est devenu très
collaboratif : les jeunes aident les plus anciens sur les éventuels
problèmes, notamment dans tout ce qui touche à la technologie".
Car le journaliste ne peut plus travailler comme "avant",
lorsqu'il ignorait la technique, gérée par d'autres. Le journaliste du
21ème siècle se doit d'être "geek", pour pouvoir dialoguer avec les
développeurs web mais aussi découvrir et tester lui-même de nouveaux
outils. D'aucuns prédisent même que le journaliste devra dans un futur
proche savoir coder... La révolution des médias ne fait que commencer.